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Irène Némirovsky

1903-1942

Un auteur au destin immortel...

Irène Némirovsky est originaire de Kiev, née le 10 février 1903 dans une famille de juifs russes. Son père, Léon Némirovsky, était devenu un riche banquier de Russie; la jeune fille connut une enfance particulièrement heureuse à Saint-Petersbourg. Elle y apprit d'ailleurs le français avant de connaître le russe. Mais lorsque la révolution éclate dans le pays en 1917, devant l'instabilité économicopolitique, Léon Némirovsky préfère éloigner sa petite famille du pays en crise, d'abord en Finlande avant de s'installer en France en juillet 1919. Irène reprend alors brillamment ses études et décroche en 1926 sa licence de lettres à la Sorbonne.

1926 est une année clé de la vie de la jeune femme, puisqu'elle publie son premier roman Le Malentendu (même si elle avait déjà publié auparavant quelques contes et nouvelles, et ce dès 1923) et épouse un homme d'affaires juif russe, Michel Epstein. En 1929, elle donne naissance à sa première fille, Denise, et publie la même année David Golder, son premier grand succès, adapté aussitôt au théâtre et au cinéma. Le Bal, l'année suivante, raconte le passage difficile d'une adolescente à l'âge adulte. L'adaptation au cinéma révèlera Danielle Darrieux. De succès en succès, Irène Némirovsky devient une égérie littéraire, amie de Kessel et Cocteau, et donne naissance en 1937 à sa seconde fille, Elisabeth.

La Seconde Guerre mondiale mettra un terme brutal à ce brillant parcours. En 1938, Irène Némirovsky et Michel Epstein se voient refuser la nationalité française, mais n'envisagent toutefois pas l'exil, persuadés que la France défendrait ses juifs. Ils préfèrent toutefois envoyer leurs deux filles dans le Morvan. Lâchée par ses amis et ses éditeurs à cause des lois anti juives, sauf Albin Michel, Irène porte l'étoile jaune. Elle rejoint, accompagné par son mari, ses deux filles dans le petit village d'Issy l'Evêque où elles étaient cachés. C'est là qu'Irène Némirovsky rédigera le récit de Suite française , persuadée qu'elle allait bientôt mourir.

Elle est arrêtée devant ses enfants par les gendarmes en juillet 1942, et envoyée à Auschwitz, où elle succombera du typhus quelques semaines plus tard. Michel Epstein, qui avait tout tenté pour sauver sa femme, est également déporté en novembre et immédiatement gazé à son arrivée. Ses deux filles sauvent quelques documents, puis sont placées sous la tutelle d'Albin Michel et Robert Esmenard (qui dirigea la maison d'édition) jusqu'à leur majorité.

 

 

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Ma rencontre avec Irène Némirovsky

De Kiev à Issy l'Evêque et d'Alicante à Paris

Je me souviens encore le jour où je découvris pour la première fois Irène Némirovsky. C'était en Espagne, un article comme tant d'autres dans les colonnes estivales des rubriques littéraires de El Pais. Celui-ci était de l' écrivain hispano-péruvien, Mario Vargas Llosa et j'étais dans cette ville d'Alicante où le soleil d'été semble, pour notre bonheur, ne jamais prendre de retraite.

Mario Vargas Llosa n'était pas encore prix Nobel de littérature, il le sera quelques mois plus tard. Grâce à son article, l'auteur perçait le mystère de l'ouvrage d'Irène Némirovsky « Suite française » qui avait reçu en 2004 le prix Renaudot, à titre posthume. Son regard était bien celui d'un écrivain, d'un grand littérateur averti, autant dire essentiel pour parler d'un livre.

Car si j'avais grandi avec l'amour des livres, ceux de mes lectures mais aussi ceux que je réalisais pour d'autres auteurs comme maquettiste depuis plusieurs années, j'avais en mémoire le prix Renaudot 2004 auquel je n'avais pas accordé d'intérêt à sa sortie, et pour cause, les prix officiels sont faits à grand renforts de communication, qui parfois m'indisposent. J'avais manqué un grand rendez-vous, une raison aujourd'hui de rester attentif pour ne pas réitérer une telle mésaventure.

Chaque livre a une âme. L'âme de celui ou celle qui l'a écrit. Après sa lecture, ajoutons l'âme de celui qui l'a lu. Si un livre nous adopte, parce que l'auteur nous l'offre, j'attendais mon retour en France pour me procurer sans attendre ce texte qui semblait une odyssée terrible dans l'Europe nazie dont je pressentais déjà quelques éclats littéraires. L'avenir m'offrira-t-il la peu probable rencontre avec Mario Vargas Llosa pour le remercier de cet article et de la lecture de ce texte qui a trouvé de nombreux adeptes de l'œuvre d'Irène Némirovsky… en France et à l'étranger et qui m'a fait découvrir toute son œuvre en si peu de temps. Certains m'avaient devancé depuis 2004 et je les enviais d'avoir pu être si prêts d'une telle consécration, tant celle-ci résonnait comme un hommage posthume certes, mais incommensurable lorsque l'on en comprend tout le parcours

J'avais donc entendu mentionner le titre, pas encore retenu le nom de l'auteur, mais dés que je trouvais « Suite Française » à côté d'autres livres du même auteur, pas nombreux chez mon libraire à dire vrai, malgré les rééditions que le prix Renaudot avait induit des ouvrages des années 30, encore inconnus et moi pas encore enclin à adopter la tribu toute entière. Ce que je ferais pourtant quelques semaines après. Peut-être avais-je été ensorcelé par le texte de Llosa mais je sentais aussi comme une bonne relation avec ce livre qui semblait s'intéresser à moi. Je ne pouvais ne pas le lire. De retour chez moi, je me plongeais corps et âme dans les chapitres de la Drôle de guerre et de l'exode de 1939.

Au-delà de l'intérêt qui était le mien travaillant sur une biographie familiale, celle de mon grand père, soldat et prisonnier de guerre de 1939 à 1945, « Suite française » n'épargnait pas les acteurs de cette autre facette de la guerre de 39-40, acteurs de fresques sociales durant les semaines de fuite de civils, en avant de l'exode. Je n'avais jamais rien lu de si percutant et mes moments de lectures devinrent des moments privilégiés pour découvrir avec chaque fois plus d'étonnement la richesse de l'écriture d'Irène Némirovsky, ses remarques les détails qui donnaient à son récit ce que souligne Mario Llosa dans son article «  sa cohérence et la synchronisation des actions entre des dizaines de personnages qui se croisent et se recroisent et qui tracent la physionomie de la société française pour qui, l'invasion et l'occupationallemandes, fut une sorte de choc électrique pour mettre à nu ses secrets ».

Irène Némirovsky disait «  j'écris sur de la lave brûlante » et c'est aussi en cela qu'il faut voir la remarquable écriture. Entrepris fin 1940 et malgré une situation familiale et personnelle qui se dégradait, Irène Némirovsky trouva la force de continuer ce qui lui avait donné tant de réussite durant une décennie, écrire pour la beauté des mots et des idées et paradoxalement sur ce qui va l'anéantir, la bassesse humaine. Le succés apporté par le prix Renaudot remettait l'oeuvre d'Irène Némirovsky à l'honneur. De nouvelles éditions apparurent et même des inédits, dont "Chaleur de sang" publié en 2007.

Deux jeunes auteurs, Patrick Lienhardt et Olivier Philiponnat nous offraient également en 2007 une biographie qui ouvrait la porte de cette oeuvre endormie. "Il y a des charmeurs de serpents et il y a des charmeurs d'événements" voilà comment elle qualifiait son rôle dès 1935. Pour parler de sa mère, vaste imbroglio familial, elle la cachera dans ses personnages " Ce qu'aucun fard ne pouvait cacher, c'était l'âme de cette femme égoïste" dans Jezabel.

L'instant de cette découverte me détermina à trouver tous ses livres, ses nouvelles, à voir le film "David Golder" au Mémorial de la Shoah qui lui avait consacré une grande exposition d'octobre 2010 à février 2011 et me mettre à comprendre par tous les moyens, cette auteur dont le destin s'imprime dans l'histoire sombre de la politique du gouvernement de Vichy, mais qui a tout jamais, n'aura pu la faire disparaître.C'est ainsi que je prenais contact avec sa fille, Denise Epstein, pour lui proposer une Société des amis d'Irène Némirovsky. Ce grand projet d'études et de création de connaissances sur cet écrivain reste à faire.

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Jean-François Dray


La revanche posthume... avec Suite Française

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Denise et Elisabeth Epstein ont entretenu la mémoire de leur mère, avec plusieurs rééditions et la publication d'une autobiographie imaginaire d'Elisabeth en 1992, Le Mirador. Après le décès prématuré de sa soeur, en 1996, Denise Epstein-Némirovsky se décide à exhumer d'une malle le manuscrit inachevé de Suite française, qui raconte, entre autres, l'exode de juin 1940, faits de lâchetés et de petits élans de solidarité. Elle se décide à le transcrire et à le faire publier chez Denoël avant de remettre le manuscrit à l'IMEC comme tous les autres manuscrits de sa mère. Le roman a la surprise de se voir consacré du prestigieux prix Renaudot 2007. Surprise, car c'est la première fois dans son histoire que le prix est remis à un auteur disparu. Mais ce n'est que justice quand on sait que jamais Irène Némirovsky n'avait été distinguée de son vivant.

« Suite française » devait à l'origine comporter cinq volets. Le destin dramatique d'Irène Némirovsky – déportée puis assassinée par la barbarie nazie à Auschwitz en 1942 – en a voulu autrement.
De cette « Comédie Humaine » de la France occupée n'existent que les deux premières parties : « Tempête en juin » qui dépeint l'exode des populations lors de la débâcle de juin 40, et « Dolce » dont l'action se passe un an plus tard, qui décrit la vie au sein d'un petit village du centre de la France dont la population se voit contrainte d'accueillir et d'héberger des troupes allemandes.
Le projet d'Irène Némirovsky était de faire partager au lecteur le destin de divers personnages récurrents au fil des évenements qui secouent la France sous l'occupation. On retrouve ainsi dans « Dolce » certains des personnages apparus dans « Tempête en juin » et l'on assiste ainsi à l'évolution de leurs sentiments et à leurs diverses prises de position face à la situation dramatique dans laquelle est plongé le pays.

« Tempête en juin » relate donc ce grand exode de juin 1940 où la population se lance à corps perdu sur les routes de France, fuyant un ennemi victorieux et ayant enfoncé les dernières lignes de défense de l'armée française. Bourgeois, paysans, ouvriers, hommes, femmes , enfants, vieillards, se bousculent tel un troupeau affolé en un flot continu de voitures et de charrettes encombrées d'assemblages hétéroclites de meubles et de matelas, de souvenirs de famille, de vaisselle et d'argenterie, de vêtements et de bijoux, de nourriture et de billets de banque destinés à assurer l'ordinaire au cours de cette fuite en avant où tout s'achète et se revend à prix d'or. Car il en va dans cet exode comme de la vie ordinaire : les plus fortunés sont les plus aptes à se procurer de l'essence et des vivres. Les autres, quant à eux, se voient contraints de marcher à pied et d'endurer les affres de la faim.
Ces évenements dramatiques sont l'occasion pour Irène Némirovsky de dépeindre sans concessions la société française d'alors. Et le constat qu'elle en retire est bien peu reluisant. On assiste ainsi à un florilège de bassesses et de petites lâchetés, à une anthologie de l'égoïsme ordinaire et du « chacun pour soi » qui ne font honneur ni à ces français jetés sur les routes ni aux habitants des régions traversées.
Tous ces bourgeois bien-pensants, ces banquiers, ces artistes et esthètes parisiens, emplis de morgue et attachés à leurs petits privilèges qui feront d'eux des collaborateurs convaincus et des fidèles du régime de Vichy, nous sont décrits ici avec une lucidité et un réalisme stupéfiants.
De cette galerie de tristes portraits, seules quelques figures se démarquent de cet océan de médiocrité et de veulerie, ce sont, entre autres, les Michaud par exemple, modestes employés de banque parisiens, personnages dignes et sincères qui, face aux épreuves du sort, ne jetteront pas leur sens moral aux orties.
Au dessus de cette marée humaine grouillante et affolée, de cette mêlée inextricable d'humains, de voitures, de camions, de chevaux, Irène Némirovsky nous dépeint une nature immuable et lumineuse, indifférente à la cruauté des hommes, la beauté de ces journées ensoleillées de juin, la douceur des crépuscules traversés du vol des hirondelles, la fraîcheur des sous-bois propices au repos après ces journées d'errance sous un ciel immense et bleu.

La deuxième partie « Dolce » se déroule un an plus tard, dans le village de Bussy où l'on retrouve certains des personnages rencontrés dans le premier volet.
C'est l'heure de la France occupée, l'heure du couvre-feu, de Radio-Londres que l'on écoute en cachette, l'heure du marché noir et de la collaboration.
Les habitants de Bussy se voient contraints d'accueillir et d'héberger les troupes allemandes. Cette cohabitation entre villageois et forces d'occupation va susciter tempêtes et passions au sein de cette petite communauté où chacun épie son voisin, où le moindre regard, le moindre geste peuvent être interprétés comme un signe de résistance à l'occupant ou au contraire comme la manifestation d'une volonté de pactiser avec l'ennemi.
Ici aussi, Irène Némirovsky fait preuve d'un extraordinaire talent dans l'observation et la description des mentalités provinciales. Elle dépeint ces visages fermés, impénétrables, ces regards qui épient à l'abri des rideaux et des volets clos, ces mots qui blessent plus sûrement qu'une arme, ces petites insinuations perfides qui révèlent un océan de malveillance et de duplicité. Elle excelle à décrire cette société de petits notables provinciaux collaborateurs et hypocrites, prêts à tous les compromis avec l'occupant, à toutes les dénonciations, pour conserver l'image surranée qu'ils se font de leur propre prestige ; ce sont aussi ces riches fermiers, avares et cupides, thésaurisant au fond de leurs resserres des quantités impressionnantes de vivres alors que le reste de la population s'évertue chaque jour à trouver de quoi se sustenter.
Quant aux troupes allemandes, Irène Nemirovsky ne laisse pas ses personnages céder à un manichéisme simpliste. Ces hommes sont certes perçus par les habitants comme des occupants mais ils sont aussi considérés comme des hommes que l'on a transplantés loin de leurs foyers et de leurs familles. Ces soldats, qui dans ce cas s'avèrent finalement, et à la surprise générale, polis et respectueux, sont traîtés avec une certaine bonhomie par la population et finissent par entamer le dialogue avec les habitants.
Mais chacun sait, d'un côté comme de l'autre, que la moindre étincelle peut mettre le feu aux poudres et que ceux qui aujourd'hui se saluent avec déférence peuvent demain s'entretuer si les circonstances viennent à l'exiger.
Cette situation troublante, qui fait de l'ennemi votre locataire, sera cause de maints égarements et de dilemmes existentiels pour les différents protagonistes de ce récit.

Après « Dolce » Irène Némirovsky avait projeté d'écrire trois autres volets au cours desquels le lecteur aurait pu suivre les destins croisés des différents personnages découverts dans " Tempête en juin " en pur visonnaire de son temps : « Captivité, Batailles, La paix ». Elle abordera comme les esquisses de ces thèmes comme le retour des prisonniers, dans un roman de 1940.
Son arrestation à Issy-l'Evêque par la gendarmerie française, sur dénonciation, suivie de sa déportation puis de son assassinat nous priveront à tout jamais de l'intégralité d'une oeuvre qui, par bien des aspects, et surtout par le talent et la maîtrise narrative de l'auteur, pourrait aisément être comparée à la « Comédie Humaine » de Balzac ainsi qu'à « Guerre et Paix » de Tolstoï.

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