Ma rencontre avec Irène Némirovsky De Kiev à Issy l'Evêque et d'Alicante à Paris Je me souviens encore le jour où je découvris pour la première fois Irène Némirovsky. C'était en Espagne, un article comme tant d'autres dans les colonnes estivales des rubriques littéraires de El Pais. Celui-ci était de l' écrivain hispano-péruvien, Mario Vargas Llosa et j'étais dans cette ville d'Alicante où le soleil d'été semble, pour notre bonheur, ne jamais prendre de retraite. Mario Vargas Llosa n'était pas encore prix Nobel de littérature, il le sera quelques mois plus tard. Grâce à son article, l'auteur perçait le mystère de l'ouvrage d'Irène Némirovsky « Suite française » qui avait reçu en 2004 le prix Renaudot, à titre posthume. Son regard était bien celui d'un écrivain, d'un grand littérateur averti, autant dire essentiel pour parler d'un livre. Car si j'avais grandi avec l'amour des livres, ceux de mes lectures mais aussi ceux que je réalisais pour d'autres auteurs comme maquettiste depuis plusieurs années, j'avais en mémoire le prix Renaudot 2004 auquel je n'avais pas accordé d'intérêt à sa sortie, et pour cause, les prix officiels sont faits à grand renforts de communication, qui parfois m'indisposent. J'avais manqué un grand rendez-vous, une raison aujourd'hui de rester attentif pour ne pas réitérer une telle mésaventure. Chaque livre a une âme. L'âme de celui ou celle qui l'a écrit. Après sa lecture, ajoutons l'âme de celui qui l'a lu. Si un livre nous adopte, parce que l'auteur nous l'offre, j'attendais mon retour en France pour me procurer sans attendre ce texte qui semblait une odyssée terrible dans l'Europe nazie dont je pressentais déjà quelques éclats littéraires. L'avenir m'offrira-t-il la peu probable rencontre avec Mario Vargas Llosa pour le remercier de cet article et de la lecture de ce texte qui a trouvé de nombreux adeptes de l'œuvre d'Irène Némirovsky… en France et à l'étranger et qui m'a fait découvrir toute son œuvre en si peu de temps. Certains m'avaient devancé depuis 2004 et je les enviais d'avoir pu être si prêts d'une telle consécration, tant celle-ci résonnait comme un hommage posthume certes, mais incommensurable lorsque l'on en comprend tout le parcours J'avais donc entendu mentionner le titre, pas encore retenu le nom de l'auteur, mais dés que je trouvais « Suite Française » à côté d'autres livres du même auteur, pas nombreux chez mon libraire à dire vrai, malgré les rééditions que le prix Renaudot avait induit des ouvrages des années 30, encore inconnus et moi pas encore enclin à adopter la tribu toute entière. Ce que je ferais pourtant quelques semaines après. Peut-être avais-je été ensorcelé par le texte de Llosa mais je sentais aussi comme une bonne relation avec ce livre qui semblait s'intéresser à moi. Je ne pouvais ne pas le lire. De retour chez moi, je me plongeais corps et âme dans les chapitres de la Drôle de guerre et de l'exode de 1939. Au-delà de l'intérêt qui était le mien travaillant sur une biographie familiale, celle de mon grand père, soldat et prisonnier de guerre de 1939 à 1945, « Suite française » n'épargnait pas les acteurs de cette autre facette de la guerre de 39-40, acteurs de fresques sociales durant les semaines de fuite de civils, en avant de l'exode. Je n'avais jamais rien lu de si percutant et mes moments de lectures devinrent des moments privilégiés pour découvrir avec chaque fois plus d'étonnement la richesse de l'écriture d'Irène Némirovsky, ses remarques les détails qui donnaient à son récit ce que souligne Mario Llosa dans son article « sa cohérence et la synchronisation des actions entre des dizaines de personnages qui se croisent et se recroisent et qui tracent la physionomie de la société française pour qui, l'invasion et l'occupationallemandes, fut une sorte de choc électrique pour mettre à nu ses secrets ». Irène Némirovsky disait « j'écris sur de la lave brûlante » et c'est aussi en cela qu'il faut voir la remarquable écriture. Entrepris fin 1940 et malgré une situation familiale et personnelle qui se dégradait, Irène Némirovsky trouva la force de continuer ce qui lui avait donné tant de réussite durant une décennie, écrire pour la beauté des mots et des idées et paradoxalement sur ce qui va l'anéantir, la bassesse humaine. Le succés apporté par le prix Renaudot remettait l'oeuvre d'Irène Némirovsky à l'honneur. De nouvelles éditions apparurent et même des inédits, dont "Chaleur de sang" publié en 2007. Deux jeunes auteurs, Patrick Lienhardt et Olivier Philiponnat nous offraient également en 2007 une biographie qui ouvrait la porte de cette oeuvre endormie. "Il y a des charmeurs de serpents et il y a des charmeurs d'événements" voilà comment elle qualifiait son rôle dès 1935. Pour parler de sa mère, vaste imbroglio familial, elle la cachera dans ses personnages " Ce qu'aucun fard ne pouvait cacher, c'était l'âme de cette femme égoïste" dans Jezabel. L'instant de cette découverte me détermina à trouver tous ses livres, ses nouvelles, à voir le film "David Golder" au Mémorial de la Shoah qui lui avait consacré une grande exposition d'octobre 2010 à février 2011 et me mettre à comprendre par tous les moyens, cette auteur dont le destin s'imprime dans l'histoire sombre de la politique du gouvernement de Vichy, mais qui a tout jamais, n'aura pu la faire disparaître.C'est ainsi que je prenais contact avec sa fille, Denise Epstein, pour lui proposer une Société des amis d'Irène Némirovsky. Ce grand projet d'études et de création de connaissances sur cet écrivain reste à faire. Jean-François Dray |
|
Denise et Elisabeth Epstein ont entretenu la mémoire de leur mère, avec plusieurs rééditions et la publication d'une autobiographie imaginaire d'Elisabeth en 1992, Le Mirador. Après le décès prématuré de sa soeur, en 1996, Denise Epstein-Némirovsky se décide à exhumer d'une malle le manuscrit inachevé de Suite française, qui raconte, entre autres, l'exode de juin 1940, faits de lâchetés et de petits élans de solidarité. Elle se décide à le transcrire et à le faire publier chez Denoël avant de remettre le manuscrit à l'IMEC comme tous les autres manuscrits de sa mère. Le roman a la surprise de se voir consacré du prestigieux prix Renaudot 2007. Surprise, car c'est la première fois dans son histoire que le prix est remis à un auteur disparu. Mais ce n'est que justice quand on sait que jamais Irène Némirovsky n'avait été distinguée de son vivant. « Suite française » devait à l'origine comporter cinq volets. Le destin dramatique d'Irène Némirovsky – déportée puis assassinée par la barbarie nazie à Auschwitz en 1942 – en a voulu autrement. |